Souvent, quand on raconte une belle histoire, on commence par le fameux "Il était une fois" symbolique. Mais jamais, on a inventé un départ pour les mauvaises histoires. Celles qui commencent difficilement et empirent avec le temps.

Quand un enfant naît d'un union amoureux, on le chérit, on le célèbre. Mais quand celui-ci à la malchance de ne pas avoir été désiré, le commencement de son existence peut bien vite devenir un calvaire.
C'est ainsi que le 20 février, par une journée hivernale aux températures rudes, un enfant naquit, d'un façonnement non-désiré. Sa mère l'expulsa sans plus de cérémonie, seule, et le laissa pour mort, abandonné dans un coin de rue gelée. Le petit aurait pu ne jamais découvrir le monde, si cette gamine fugueuse n'était pas passé devant le petit être sanglotant, le ramenant bien vite à la chaleur de son logis.

Le bébé fut emmené à l'hôpital le plus proche, et placé en soin intensif. Mais ses chances de survie restaient néanmoins infimes. Pas de lait maternel, le froid l'ayant engourdit, tous ces facteurs auraient dû provoquer le décès du nourrisson dans les quelques heures qui suivaient son arrivée. Mais le destin en avait décidé autrement, et l'enfant ouvrit enfin les yeux, deux prunelles pénétrantes et irréelles, qui brûlaient ardemment d'une soif de vivre inébranlable.
Le garçon fut envoyé dans un orphelinat, tenu par Mme R. Darty, où il passera les quatorze prochaines années de son existence, sans réussir à se lier, ni avec d'autres enfants, ni avec le personnel, et encore moins avec Mme R. Darty, qui pourtant était une femme bonne et douce. L'enfant à la tignasse brune se trouvait être trop renfermé avec les autres. Son statut de mutant n'aidant guère, ainsi que ses tendances agressives.
Il avait apprit qu'être né d'une fille de joie devait être vu comme une honte. Pourtant, cela ne lui importait pas, en fait il se fichait de tout. C'est d'ailleurs pour réussir à trouver quelque chose à faire de sa vie, que Kaël prit la fuite le jour de ses quatorze ans, franchissant le mur de pierre qui entourait la propriété pour disparaître dans la fraîcheur humide du matin.

On ne peut pas dire que sa vie s'arrangea après ça. Kaël grandit vite, beaucoup trop vite, comme si sa fuite lui avait volé toute son enfance. Peut-être était-ce d'ailleurs le cas? Il vivait de ce qu'il pouvait, du vol, des petits boulots dans la rue, de ce qu'on voulait bien lui donner.
Il passait le plus clair de son temps dans les bas quartiers de la ville, là où se rassemblaient les gens de l'obscurité, là où avait certainement vécu sa mère. Il avait le sentiment d'appartenir à ce milieu plus qu'à un autre. Même s'il restait un enfant, Kaël n'avait pas eu beaucoup d'embrouilles, sa carrure déjà musclée pour son âge, dissuadant les plus teigneux. Malgré tout, il restait mince, presque maigre et avait toujours du mal à subvenir à ses besoins.

Ce n'est que deux ans plus tard que Darwin intégra un groupe de jeunes qui se qualifiaient de 'gang'. On est plus en sécurité à plusieurs disaient-ils, et c'est parmi eux que Kaël réussit enfin à se sentir à l'aise. Quelques mutants, pas de discrimination par ici. Mais leur meneur disparu du jour au lendemain sans laisser de traces, laissant le gang qui se disloqua peu à peu. Et de nouveau, l'orphelin se retrouva seul, démuni. Peu à peu, il commençait à se rapprocher de la surface. Il pouvait désormais accéder à des boulots mieux payer, même si ses salaires restaient misérables, et surtout, il pouvait se défendre, ayant pris du muscle et ayant une certaine corpulence.

Dans les bas quartiers, Kaël traînait de temps à autre avec un maigre gamin aux cheveux blonds filasses. Il se nommait Greg et travaillait dans un salon de tatouage comme apprenti. Mais son 'maître' avait disparu depuis un moment, et Greg comptait bien partir à sa recherche. Kaël était resté seul dans le salon, alors que Greg partait au bar mal fréquenté du coin. Le blond n'en revint jamais, et Darwin apprit quelques temps après qu'il avait provoqué un dur pas franchement sobre, qui ne s'était pas gêné pour effacer son existence.
Seul, encore et toujours. Tant ça devenait une habitude, le brun finit par croire que la solitude était son destin absolu. Aussi, il décida de rester dans le salon, sans plus sortir, mourant à petit feu de ne pas revoir la lumière du jour.

C'est quelques semaines après la mort de son apprenti, que le maître tatoueur décida de réapparaître, trouvant dans son salon, un gamin de dix-huit ans, sale et calme comme la mort. Il aurait pu le laisser là, mais ce vieux de cinquante-huit ans possédait un coeur d'or. Il remit Kaël en état, fit de lui son apprenti, remplaçant Greg sans se soucier de ce qu'il lui était arrivé et lui fit suivre des cours particuliers afin de le faire rentrer dans un lycée qui reprenait les gamins en difficulté.

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- Quoi?

Kaël fixait son regard vairon intense et plein de surprise, sur le dos maigre de son mentor. Celui-ci continuait ses occupations d'un calme exemplaire, ne se retournant même pas pour apprécier la vue de son élève.
Sa voix calme et douce résonna une nouvelle fois, confirmant la peur du brun.

- Tu m'as bien entendu, je repars dans ma ville natale. J'ai amassé assez d'argent pour y retourner, j'ai un ami là-bas qui va bientôt partir, et il voudrait que je continue à faire vivre son salon.

Derrière lui, l'adolescent déglutit avec difficulté. Il recula et s'adossa au mur, fixant le sol longuement. Encore une fois, il allait devoir se débrouiller, retourner à sa solitude, mais cette fois, personne ne viendrait l'en tirer.
Il tourna son regard morne vers un miroir brisé. Son corps s'était développé, en particulier sa musculature qui n'était plus fine désormais, mais bien présente. Des muscles de faire, un esprit d'acier et une détermination en béton pour un cœur de pierre. Tout en lui respirait la force, la fierté, et surtout, la dureté. Mais tout pouvait s'envoler, au moment même où le vieil passerait la porte.
Celui-ci choisit ce moment précis pour se retourner vers son élève avant d'incliner la tête vers la droite.

- En fait, je voulais te proposer de venir avec moi. J'ai la chance d'avoir hérité d'une grosse somme lors de mon absence, par ma sœur qui a eu plus de chance que moi. Je comptais l'utiliser pour autre chose, mais vu que tu es là, pourquoi tu ne viendrais pas toi aussi?

Encore une fois, les yeux du brun s'écarquillèrent. Alors ça, il ne s'y attendait pas du tout. De l'excitation commença à monter en lui, en même temps qu'une sorte de peur. Mais il ne voulait pas se retrouver seul... Le vieil avait pris la place du père qu'il n'avait jamais eu.

- ...J'vais pas rester ici à crever t'façon. Bien sûr que j'viens.

Un sourire satisfait éclaira le visage de l’ancêtre, alors qu'il reprenait ses activités, sans un mot de plus sur tout cela. Le problème était réglé après tout. Il se doutait bien, que Kaël voudrait surement fuir tout ça. Un nouveau départ, une nouvelle vie, une nouvelle chance pour l'orphelin silencieux.

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Déjà plus de six mois que les deux hommes avaient rejoint la nouvelle ville. La vie tournait, peu à peu, Kaël oubliait son ancienne ville, cet endroit qui n'avait même pas voulu le voir naître, et s'intégrait dans la société. Pas au point de se faire des amis, mais il apprenait, à son rythme, à être poli, à savoir se tenir, presque amical, tout en gardant des distances de sécurité.
Un jour, le brun rencontra suite à un accrochage assez violent dans un bar, un jeune homme du nom d'Erwan qui voulait rentrer dans l'armée afin de combattre pour la paix, sur d'autres continents, là où on aurait besoin de lui. Bien vite, il l'entraîna dans son aventure. Le vieil homme n'eut rien à redire à cette décision et à vingt ans, les deux jeunes hommes avaient intégrés l'armée de terre.
A seulement 25 ans, Kaël fit promu, et intégra les forces spéciales.

C'est à partir de ce moment là que le calvaire commença. Le brun n'avait jamais participé à une vraie guerre, mais à cette époque, il y en avait une pour laquelle le sergent Darwin avait été réquisitionné. Bien sûr, il avait accepté, on ne refusait pas un ordre supérieur. Il aurait sans doute dû.
Quand il rentra de la guerre que son camps avait gagné, le brun n'était plus le même. Il avait vu et fait toutes les horreurs dont il ne se serait jamais cru capable. Viol, assassinat, torture. Tout cela mis sur son dos. Et plus que tout, il avait perdu son ami. Erwan y était resté, à sa place, prenant comme décision de sauver son régiment par son sacrifice. Ce décès marqua à tout jamais le sergent, qui refusa par la suite d'avoir un rapport humain avec un quelconque autre être. Il avait trop perdu, et surtout, il avait trop fait.

Au cours d'une mission d'ordre spéciale, le jeune officier se fit capturer, mettre derrière les barreaux pendant plusieurs semaines jusqu'à ce qu'on le récupère sous demande de rançon. Quand il rentra dans sa ville, il fut renvoyé chez lui, sous ordre de se reposer, et de ne pas reprendre les missions avant un certain temps.

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Une porte claqua. L'horloge métallique au fond de la cuisine affichait aux alentours de deux heures du matin. Le soldat ne savait plus bien, il avait déjà eu du mal à descendre de la camionnette qui l'avait ramené ici et à marcher jusqu'au seuil de la petite maison modeste.
Tâtonnant les murs en pierres blanches, jusque dans la cuisine, l'homme se laissa tomber sur une chaise en bois design qui s'accordait parfaitement avec la table, et le mobilier autour. Dans un mouvement de fatigue, il laissa tomber sa lourde tête douloureuse sur ses bras croisés. Cet instant de repos ne dura que quelques secondes, avant qu'un autre homme de la soixantaine entre en peignoir dans la pièce, allumant la lumière qui semblait criarde au militaire, sur la scène.

Stupéfait, le vieil homme se pétrifia, laissant juste le temps à Kaël de relever la tête, croisant son regard vide avec le sien. Les yeux sombres luisirent légèrement, avant que le vieillard n'éteigne de nouveau la lumière, s'asseyant en face de son apprenti, les bras croisés sur le bois et la voix murmurante.

- Qu'est-ce qu'ils t'ont fait...

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Plus tard, le flic apprendra que son colocataire avait été torturé, psychologiquement et physiquement afin de laisser échapper des informations compromettantes. Mais malheureusement pour ses agresseurs, le militaire s'était lui-même plongé dans une sorte de bulle de protection, pour empêcher quiconque d'accéder à son savoir. Un dur, un torturé.
Et au moment où le brun comptait utiliser sa pilule de cyanure, bien caché dans sa molaire gauche, les secours étaient arrivés.
L'expérience n'en restait pas moins atrocement difficile à surmonter.

Rien ne pourrait effacer cette épreuve, ou plutôt l'épreuve complète qu'était son engagement dans l'armée. Depuis, maintes et maintes fois son mentor avait tenté de le résonner, de le faire sortir de ce milieu, mais rien à faire. Kaël se retrouvait dans les brigades spéciales, celles qui travaillaient dans l'ombre pour effectuer les travaux les plus sales. Et peu à peu, le corps couturé de cicatrices se transformaient en machine à tuer, dur, froide, sans cœur, sans âme.

Aux alentours de ses 26 ans, Darwin retourna dans la maison du vieux. Mais celle-ci était déserte, vide. Étrange d'ailleurs, car le vieil homme ne sortait presque jamais. Curieux, la tête brune gravit les escaliers menant à la chambre de l'autre pour l'ouvrir sans bruit. Pour ainsi découvrir le corps sans vie de son mentor.
Quelques semaines plus tard eut lieu l'enterrement. Le pauvre homme avait été victime d'une crise cardiaque, et en était bien malheureusement décédé. Lors des funérailles, très courtes à vrai dire, le soldat ne laissa aucune émotion traverser son visage. Personne ne pouvait savoir ce qu'il ressentait, et dans tous les cas, personne ne voulait lui adresser la parole. Il avait assez mauvaise réputation.
Dans son testament, le défunt cédait toute sa fortune à son élève, une assez grosse somme en soit. En fait, c'était bien plus que ça. C'était une somme considérable, et le meurtrit ne savait pas du tout d'où elle pouvait venir. Quoiqu'il en soit, le sergent se fit mettre en arrêt par le psychologue de la brigade dont il faisait partit.

Sa décision était prise. Il changeait encore d'endroit. A croire qu'il devenait nomade.
C'est en arrivant à Water Black City, qu'il comprit qu'il n'allait ici non plus, pas se reposer. Il s'installa dans un coin plutôt tranquille de la ville et entreprit de se remettre à exister, intégrant la police de la ville pour un moment. Il y resta deux ans avant de se décider à ouvrir son salon de tatouages et piercings. Cependant, ses oreilles continuèrent de traîner partout et Kaël devint rapidement une mine d'informations sans limite, servant à la police comme à ceux qui avait de quoi le payer aussi bien en liquide qu'en service. Il arrive même qu'on demande à l'agent de travailler dans l'ombre dans le cas de procédure frôlant l'illégalité.